MUSHER, DU RÊVE À LA RÉALITÉ
par Joan Francès (ANCEF)
Les chiens de traineau font rêver. Ils font penser à l’exploration des grands espaces sauvages, à l’aventure, à la liberté. Vous êtes nombreux à concrétiser ce rêve en faisant une balade découverte sur un traineau tiré par une meute de chiens sous les ordres de leur « patron », le musher. Mais, derrière ce tableau idyllique, il y a toute une organisation à avoir, pour que les chiens soient prêts à vous conduire dans l’environnement hivernal qui vous attire. Nous avons donc décidé de vous faire entrer dans l’envers du décor, d’approcher la réalité de vie de ceux qui guident l’attelage pour vous permettre de réaliser votre rêve. Vous n’en serez que plus intéressés. Donnons donc la parole aux mushers.
Crédit photo Léo Salaün
FRANCK SHMITT : UNE PROFESSION PRÉDESTINÉE
Musher à Prénovel de Bise dans le Jura, responsable de Terre et Neige, structure implantée à Prénovel depuis 2008 qui propose des activités en traineau à chiens, Franck Schmitt est spécialisé dans l’accueil petite enfance et personnes à mobilité réduite.
« Mes parents avaient des chiens en Alsace, région dont je suis originaire. A l’âge de 5 ans, j’ai eu mon premier traineau ».
Après des études dans le développement local, Franck intègre le lycée agricole de Montmorency en sport et animation moyenne montagne. Il passe et obtient le diplôme d’accompagnateur montagne, un BTS protection de la nature et le pisteur secouriste fond. Durant cette formation, il est « Handler » c’est-à-dire aide d’un Musher implanté dans le Jura. Il nettoie les box, prépare la soupe des chiens, le matériel. Il passe le DEJEPS option attelage de chiens. « Dans ces formations, j’ai acquis la compétence, la qualité de service proposé, la sécurité. Avec tous ces outils en poche, je me dirige vers la transmission de la protection de l’environnement qui va être le fer de lance de mon projet professionnel ».
Une démarche très positive
Toute cette démarche se concrétise par la création de la structure Terre et Neige. « C’est un métier de rencontre avec les gens, un travail d’équipe avec les chiens. Je suis heureux quand je vois, après une séance, briller les yeux des enfants et des personnes en situation de handicap. Je mets un point d’honneur à ce que mes activités soient accessibles à tous ». Les chiens, pour Franck font partie de sa vie. Dans la meute, il est le coach et doit faire attention à leur sécurité et à leur confort. « Au-delà de 15 degrés, je ne sors pas les chiens ».
Quelle histoire ?
Depuis deux millénaires, les chiens ont été utilisés pour tirer des traineaux. A force de sélection, on est arrivés à des chiens qui mentalement ont envie de courir. « Le bruit d’un mousqueton et ils montrent leur volonté de courir en aboyant, sautant, jappant, comme des enfants qui vont en récréation. Les chiens montrent ainsi leur envie et besoin de faire partie de l’attelage ». Quand on pense chien de traineau, on pense Husky, imagé par une petite peluche aux yeux bleus. Pourtant dans le monde 90% des chiens de traineau sont issus de croisements. Les précurseurs de ces croisements entre Alaskan Husky et diverses races de chiens, dont ceux destinés à la chasse, sont les Norvégiens. Cela participe à améliorer le mental des chiens, mais les rend plus fragiles. Et de citer le nom de Paul Emile Victor, jurassien originaire de Prémanon, l’un des premiers à avoir introduit les chiens de traineau dans cette région. « Le Jura est le berceau en France des activités nordiques et des chiens de traineau ».
Crédit photo Franck Schmitt
Au début, ici les chiens de traineau étaient utilisés pour transporter les bagages des personnes qui pratiquaient la randonnée nordique, d’hébergement en hébergement. Aujourd’hui ils doivent partager l’espace avec les autres utilisateurs de la montagne.
Des activités
Les activités proposées, sont de deux types. Pour les individuels ou familles ou petits groupes, balade découverte sur traineau à skis sur la neige, sur traineau à roues hors neige. Des traineaux équipés de sièges adaptés aux personnes handicapées.
Pour les scolaires en groupe, c’est le cani-rando hors neige que propose Franck. Il confie un chien à 2 ou 3 enfants. Ceux-ci partent en randonnée pédestre avec le chien en laisse. Ce qui oblige les enfants tractés à marcher plus vite. Les enfants apprennent à approcher l’animal, à travailler avec lui en équipe, prendre soin du chien jusqu’à le nourrir, le brosser, lui donner à boire. « Pour moi c’est magique ! ».
Franck participe à des compétitions. Champion de France en 2024 pour la troisième fois, il est en équipe de France. « Courir avec mon attelage en Scandinavie ce serait mon rêve, mais je n’ai ni le temps, ni les moyens de payer un tel déplacement. Et puis je dois m’occuper de mes chiens ».
Laissons conclure Franck : « Je fais un formidable métier passion dans un environnement jurassien idyllique. A Prénovel on travaille tous ensemble en bonne intelligence et c’est super ».
Plus d’infos sur Facebook et Instagram : « Terre et Neige ».
SOPHIE TISSOT : MUSHER FORMATRICE PASSIONNEE
Installée depuis 25 ans avec ses chiens à Lamoura dans le Jura, Sophie Tissot est une musher enthousiaste, une formatrice fortement impliquée. Cette passionnée d’animaux, de montagne, de glisse, accompagnatrice en montagne, monitrice de ski de fond, est aussi formatrice.
« C’est à 10 ans, au cours d’une balade en chien à traineau, que je décide de m’orienter vers le métier de musher ». Elle a aussi monté un bureau des guides et une école de ski de fond aux Rousses. Loin d’être facile, preneur de temps, ce métier est une passion pour Sophie. « Les chiens sont là toute l’année, il faut s’en occuper tous les jours. Ma meute comporte 20 individus comprenant les jeunes mais aussi les retraités ».
Crédit photo Sylvie Tissot
Engager une formation, faut voir…
Cela va vous paraître paradoxal, mais pour promener des personnes en traineau à chien, il n’est pas indispensable d’être diplômé. Une bonne maîtrise de la pratique, peut vous permettre de conduire des balades découverte en toute sécurité. Mais si vous souhaitez transmettre votre savoir, votre pratique, vous devez être titulaire d’un DEJEPS Attelages Canins. Ce Brevet d’Etat d’Educateur Sportif vous permet de pratiquer, enseigner, entrainer dans toutes les disciplines liées aux chiens.
Il y a 15 ans, la Fédération Française des Sports de Traineau sollicite Sophie pour encadrer une formation. « J’accepte pour rendre service, et aujourd’hui je suis dans la boucle. Former, transmettre, c’est très intéressant. Cela prend beaucoup de temps pendant la formation, mais aussi après, dans le suivi des musher formés ». La formation s’adresse à des personnes qui ont déjà une expérience et une bonne pratique personnelle de la conduite d’un attelage et des autres activités avec les chiens. Elle dure 14 mois (700 heures en centre de formation, 500 heures en stage en entreprise). Il existe des clubs où les personnes intéressées peuvent s’initier, se perfectionner avant d’engager une formation. « Les formations que je conduis aujourd’hui sont réalisées sous le couvert de l’association Sport Nature Formation, sise aux Longevilles Mont d’Or dans le Doubs ».
Avec son expérience de ce métier passion, Sophie donne deux conseils éclairés aux futurs candidats. « Rencontrer plusieurs mushers, passer du temps avec eux pour se rendre compte de la réalité de ce métier. Faire une étude de marché sur le lieu où ils envisagent de s’implanter ».
Plus d’infos : sentiers-nordiques.fr
LEO SALAÜN : POUR LE BONHEUR DES CHIENS
Sept jours sur sept, les chiens doivent être accompagnés. Le handler aide le musher dans cette tâche. Il donne à manger aux chiens, aide à les atteler, les fait courir, nettoie le chenil… Bref, il s’assure de la sécurité et du bien-être des chiens. Un travail exigeant, physique, qui ne peut bien s’accomplir si l’on n’aime pas les chiens.
Amoureux de la nature, Léo Salaün poursuivait ses études au Canada, lorsqu’il découvre les chiens de traineau. Une découverte qui va l’amener à passer dix jours en fin d’hiver auprès d’un musher. « J’ai adoré cette rencontre avec le musher et ses chiens, au Québec. Ma première balade en traineau sur un lac gelé, c’est une superbe expérience. J’adore les chiens, j’ai été bien accueilli, dans un environnement exceptionnel, même s’il était un peu isolé ». Une place de handler est à prendre, il postule et est accepté. D’octobre à avril, Léo va travailler dans ce lieu magique. Il répond à nos questions.
En quoi consiste le métier d’handler ?
« C’est l’assistant du musher. Sa mission principale est de s’occuper des chiens. Dans un premier temps il faut apprendre à connaître la meute, et qu’elle apprenne à vous connaître. Le handler s’assure du bien-être des chiens. Il les nourrit, les abreuve, vérifie leur état de forme, aide à atteler les chiens au traineau. C’est une responsabilité forte, mais passionnante. Il s’occupe aussi de l’entretien des parcs, des traineaux, mais aussi de la clientèle ».
Lorsqu’il n’y a plus de neige, c’est les vacances ?
« Non, il y a toujours de l’occupation. Il faut faire l’entretien des sentiers, de leur sécurité, de leur aspect paysager. Un moment agréable avec la rencontre de la faune sauvage. En automne, il faut faire courir les chiens. Je participais à leur entrainement. Il faut les remettre en forme, les affûter, leur faire perdre un peu de poids.
Crédit photo Léo Salaün
Courir attelé au traineau à roues ou quad, les distances et l’intensité s’élevant petit à petit. On commence aussi à débourrer les jeunes chiens qui à 18 mois vont débuter leur première saison. C’est un moment important, pour déceler les leaders, leurs points faibles, leurs points forts ».
Vous décidez de revenir en France, mais n’abandonnez pas les chiens
« A mon retour, je vais continuer ce métier dans les Hautes-Pyrénées. Petit à petit, mon statut évolue. La quatrième année, je gère le chenil. C’est une belle responsabilité, mais aussi beaucoup de temps passé et de travail. Les chiens sont au cœur de cette activité. Il faut les mettre dans les meilleures conditions possibles. Ils sont heureux quand ils courent. Le dernier hiver, je suis amené à conduire des attelages pour des baptêmes de découverte, ce qui me motive ».
Vous décidez malgré tout de quitter ce métier qui vous passionne
« Vivre dehors, dans un environnement naturel magnifique, partager des moments d’émerveillement avec les chiens, rendre des gens heureux, c’est effectivement passionnant. C’est un métier de partage entre les hommes et les chiens. Mais, durant les saisons, on ne vit que pour cela, sept jours sur sept, et la vie sociale est pauvre. Je décide donc de changer d’orientation professionnelle. J’engage cet automne à Toulouse une formation de charpentier avec les compagnons du tour de France ».